Archives et historiens locaux...
Avez-vous remarqué, vous aussi, ces derniers temps, la désertion des services d'archives par ce public sympathique et souvent haut en couleur que forme les historiens locaux et autres chercheurs du dimanche ? Ce n'est pas archives addict qui me contredira sur ce point, nous avons eu une longue discussion sur ce sujet il y a peu.
Depuis quelques temps, les "sommités" reconnues, dans mes communes, comme spécialistes incontestés de l'histoire du territoire et têtes pensantes de la communauté tendent à se désintéresser complètement des petits trésors que je mets au jour...
Ce matin, un Monsieur connu comme spécialiste de l'histoire de son village est venu me rendre visite. Je venais juste d'achever le classement et l'inventaire des archives communales et me réjouissais d'avance de lui montrer mes découvertes, sachant qu'il était passionné. Eh bien, croyez moi ou pas, il n'a pas fait le moindre cas des documents révélés. Le désintérêt le plus parfait. Et de me demander : "Moi, ce qui m'intéresse, c'est la liste des prêtres et des instituteurs, vous pouvez me les sortir ?"
[Et là, abracadabra, l'archiviste sort sa baguette magique à dépouiller, compiler, digérer des mètres de liasses d'archives en un clignement de cil et "tan, tan" : voilà une liste toute prête !!!!!]
Bref, bien évidemment consternée, je tente tout de même de lui expliquer qu'il ne trouvera pas cela dans les archives communales, ou alors de manière très partielle, et qu'il doit entamer des recherches aux Archives Départementales et aux Archives de l'Evêché. Il me regarde comme si je lui parlais chinois. Moi, dans un élan d'espoir : "Vous êtes déjà allé aux Archives Départementales ?" "Non"
Ah... Et il vient juste de finir d'écrire une monographie communale !! La bonne blague ! Alors, me direz vous, s'il ne puise pas ses informations dans les archives, où peut il donc bien les dénicher ? Facile :
- "L'arrière petite fille de l'ancien maire qui est à la maison de retraite m'a dit que...", source redoutable de précision !
- "J'ai trouvé sur Internet que..." Ce à quoi, un peu perverse et passablement agacée, je rétorque "Sur quel site ? Dans quel dépôt d'archives se trouve le document ?" Longues secondes de blanc. L'homme en question, qui se vante depuis une bonne demi heure de sa science et de ses qualités (je suis membre de la société historique et archéologique, je vais être nommé président honoraire de X, je connais bien M. machin, et blablabla) ne veut pas passer pour un amateur devant une petite sotte de 30 ans qui travaille dans une cave finit par me répondre : "Sur François 1er" [Mais bien sûr, qui ne connaît pas François1er.fr !] et de préciser "... sur François 1er foires et marchés ! C'est ça qu'il faut taper... sur le site Gogol" [...] "Vous voulez dire Google, je suppose ?" "Voilà, c'est ça, sur Google ! [très fier]. Vous savez Internet, c'est formidable, on peut tout trouver maintenant, sans sortir de chez soi".
Il y a encore quelques années, ce genre d'expérience m'aurait fait rire. A présent, elle me consterne car ce Monsieur est loin d'être un cas isolé et qu'il est pris très au sérieux par la population, les élus... Vous allez me dire que les historiens locaux pas très sérieux ont toujours existé. Certes. Mais la plupart étaient tout de même familiers des dépôts d'archives et du travail de dépouillement. A présent, ceux qui passent des heures à fouiller dans les liasses pour y trouver matière à leurs écrits sont de plus en plus rares... En conséquence, les amoureux des archives le sont également.
Si nous perdons ce public, qui est, finalement, en milieu rural, presque le seul que nous ayons, qui exploitera toute cette matière que nous mettons en ordre, préservons et inventorions ?...